Les cartes et les plans de ville m’ont toujours fasciné. Il suffit que je tombe sur un atlas, des reproductions de carte ancienne, une carte Michelin pliée, pour que je les décortique, tente de comprendre le mystère de la topographie, de faire danser mes yeux dans l’entrelacs des rues, des routes, des chemins de fer et des rivières. Puis, un jour, je me suis mis à dessiner des cartes de cités, de mégapoles, d’îles et d’archipels.
Dès que mes parents sonnaient l’extinction des feux dans ma chambre d’enfant, je m’empressais d’allumer une petite lampe de poche. Puis, d’un tiroir rempli de jeux et d’albums d’Astérix, j’extirpais l’une des cartes imaginaires en gestation…(car j’en ai toujours sous la main depuis l’âge de 8 ans). Allongé sur le ventre comme un chat, je suivais avec une antenne télescopique arrachée à une vieille télé, les méandres de la carte, le détail de ses quartiers, ses rues et ses monuments.
Je m’invente alors une belle histoire dont j’étais le principal protagoniste. Dans ma tête, je parle du quartier où je vis, du quotidien des habitants de la cité même si graphiquement ils sont presque invisibles, des lieux où habitent ma famille et mes amis. J’aime prendre le métro. Alors, je crée un réseau complexe de métro, de trains de banlieue ou de téléphériques en donnant des noms imaginaires aux stations ou alors des noms de personnages célèbres ou de lieux qui m’ont marqué. En ressortant des vieilles cartes du tiroir plusieurs années plus tard, je réalise ce qui m’intéressait à l’époque où les cartes furent conçues. Parallèlement, je remplis des cahiers de dessin au crayon…des monuments, des célébrités, des gratte-ciel, des églises, des châteaux, aux styles architecturaux hétéroclites…tous ces dessins consignés dans des carnets me permettent de visualiser la ville dans une nouvelle dimension. Elle prend corps dans ma tête. Je visualise des grandes avenues boisées, des perspectives larges sur les fleuves et les baies marines. Les panoramas et les points de vue sont nombreux. Les collines, les flèches effilées des églises, les grattes-ciels donnent de la hauteur. Depuis plus de 40 ans, je n’ai jamais cessé de dessiner des cartes, tous les jours…que ce soit à la maison, dans le train, chez le dentiste ou ailleurs. C’est devenu un besoin viscéral et obsessionnel !
Jeune adulte, j’ai été tenté par la peinture et je suis parti dans les méandres de l’art officiel. On m’a exposé aux murs. On a vendu mes toiles. Et même si ce travail reprenait en partie certains aspects de la complexité de mes cartes, j’ai fini par me lasser de mes ‘’œuvres’’. Ce n’est que très récemment que mes véritables ‘’machins’’ sont sortis du secret. Au détour d’une conversation dans mon bureau, un ami et voisin de Fontcouverte (Jean-Louis Bigou, artiste peintre et amateur d’Art Brut), repère une carte pliée sans précaution dans un tiroir entr’ouvert. Jean-Louis en parle sur son blog. Puis d’autres amateurs et collectionneurs d’Art Brut, dont Alain Bouillet et Bruno Decharme, s’y intéressent. Alain parle volontiers de ‘’secrétions’’ quand il faut qualifier ces travaux d’auteur d’Art Brut. Et il a raison. Je sécrète des cartes, sans retenue, de façon obsessionnelle, sans réfléchir. Cela coule de source. Le plaisir physique éprouvé quand je dessine, est indescriptible. Maintenant, je commence à transcrire les histoires que je me raconte. En même temps, quand un spectateur vient voir une carte et qu’on engage une conversation, c’est une toute autre histoire que je vais raconter.
Ces villes sont à la base parfaites pour y vivre…en tout cas pour moi. Il n’y a pas de bons ou mauvais quartiers. Le bleu et le vert dominent souvent dans l’organisation de ces métropoles ou centre-ville. Les transports en commun desservent les points d’intérêts culturels, éducatifs, sportifs, des loisirs, économiques et administratifs. J’aime à penser que les citoyens de ces villes puissent aller à la plage le lundi en métro et prendre la direction des pistes de ski le mardi soir en téléphérique. Tout est possible dans ces villes mais tout est fait pour que la beauté, l’environnement et l’espace commun soient des priorités. Vu d’avion, ces villes ont l’air harmonieux. La Terre est toujours belle vue d’en haut. En bas, c’est plus problématique…
Chaque ville est autonome avec sa propre histoire, ses dynasties de princes, ses révolutions, ses catastrophes et ses renaissances. Je me souviens d’avoir bombardé quelques cartes de villes dans l’enfance en lâchant de gros feutres du haut de mon lit. Les impacts de marqueur me rappelaient des cratères béants laissés par l’explosion des obus. Je n’ai jamais gardé ces cartes bombardées. A quoi bon ! Je reconstruisais une nouvelle carte dans la foulée…
Christophe Barcella